Arras - Appel
APPEL À COMMUNICATIONS
Le XIXe siècle a fait du XVIIe le moment où se seraient définies, dans un même mouvement, les frontières externes et internes de la littérature et de l’État Nation. Les deux processus en venaient à se superposer quand un style ou une esthétique se revendiquaient comme « national » (ainsi de la galanterie française). Dans les dernières décennies, les critiques de la notion de classicisme et les nouvelles approches de l’histoire littéraire nourries par la bibliographie matérielle et les sciences sociales ont mis en lumière le caractère mouvant, brouillé et essentiellement polémique de ces frontières.
La frontière est d’abord une ligne de front. Les conflits frontaliers qui se développent au XVIIe siècle (particulièrement actifs dans la région des Flandres) se traduisent par des opérations militaires, mais aussi par une abondante production écrite (l’intéressante allégorie théâtrale et politique Europe, 1643, de Desmarets de Saint-Sorlin, les textes traitant des conflits espagnols, voire les utopies, où la notion de frontière entre l’ici et l’ailleurs est essentielle). En même temps, le genre de la carte allégorique utilise la métaphore de la frontière pour définir des groupes sociaux, des courants et des genres, et les querelles littéraires (querelle autour de la galanterie, querelles théâtrales, querelle des Anciens et Modernes) se donnent à voir comme autant de conflits sur les frontières, sans oublier la question des limites entre ce qui relève du laïc et ce qui relève du religieux, entre le privé et le public, entre le moral et l’immoral, entre la littérature (en passe d’une nouvelle définition) et ce qu’elle n’est pas.
La transformation de la ligne de front en frontière, de la force en pouvoir, passe par une opération de représentation : la carte, le tableau, la description, les institutions fixent alors les frontières. Les villes conquises par Louis XIV font ainsi immédiatement l’objet de séries de représentations peintes ou gravées (voir la récente exposition du Louvre, La France vue du Grand Siècle). La frontière se matérialise aussi sur le territoire, de manière durable (les forteresses de Vauban, les portes érigées à l’entrée des villes) ou éphémère (les arcs de triomphe des entrées royales). La frontière apparaît comme une figure du pouvoir et son franchissement, à l’occasion des entrées royales ou des mariages, est fortement ritualisé. Ces mises en scènes du franchissement des frontières superposent à l’image de la limite une autre interprétation de la frontière, comme zone de circulation, de dialogues et d’échanges entre des pouvoirs à la fois partenaires et rivaux. La circulation (autorisée ou clandestine) et la traduction des livres (des étrangers, des exilés) mettent ainsi en jeu les frontières politiques et linguistiques : situer un livre dans cette zone – par exemple en utilisant une fausse adresse d’imprimeur – est un moyen de le placer en dehors de l’emprise du pouvoir et de sa censure.
Ces franchissements, réels ou fictifs, mettent en lumière le caractère poreux des frontières : sur le territoire comme en littérature, tracer des frontières revient à revendiquer des valeurs et des hiérarchies, tout en ouvrant des espaces de conflits, d’échanges et de transgressions. La frontière apparaît comme une zone marginale dotée d’une créativité propre. Brouiller les frontières, par exemple en multipliant les langues ou les genres au sein d’un même ouvrage, consiste à mettre en place un espace de liberté pour la création et l’action, en résistance contre une tendance (politique) à établir et valoriser les limites. Le burlesque, fréquemment utilisé dans des ouvrages polémiques, est ainsi porteur d’une dérision généralisée qui bouleverse et transgresse les frontières linguistiques et génériques, et décompose leurs hiérarchies, écho des hiérarchies du monde réel. Le mélange des arts dans les divertissements de cour tend à effacer les frontières (artistiques) pour figurer l’union de la nation. Les récits qui brouillent les frontières entre histoire et fiction (comme les nouvelles historiques), entre fiction et science (comme Les États et empires de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac), cherchent à atteindre de nouveaux publics et à constituer de nouveaux modes d’adhésion, à créer une littérature moderne, quitte à ne pas choisir entre anciens et modernes, tel La Fontaine.
Ce sont ces usages littéraires, artistiques et historiques de la frontière, ligne de front, limite de territoires et de pouvoirs, zone d’échanges, de négociations et de transgressions, que nous nous proposons d’interroger. Les questions suivantes (sans exclusive) pourraient être abordées :
- Comment les frontières sont-elles définies dans les conflits, qu’ils soient historiques, politiques, littéraires ou religieux, qui traversent le siècle ? Quels pouvoirs, quelles valeurs sont mis en jeu ?
- Quel usage la littérature et les arts font-ils de la notion de frontière (au sens propre ou au sens métaphorique) et des idées corollaires de nation, d’identité, dans leur processus d’institution ?
- Quelles relations avec les institutions (politiques, administratives, religieuses) les représentations littéraires et artistiques construisent-elles, au moment où la littérature tente de conquérir une autonomie qui lui reste contestée ?
- Comment la littérature et les arts tracent-ils des frontières internes, pour quoi faire et avec quelle efficacité ? Quelles inventions nouvelles, quelles actions spécifiques sont rendues possibles par les choix esthétiques du mélange des disciplines, des arts, des genres ou des tons ?
- Comment les écrits et les usages qu’ils font des frontières articulent-ils confirmation, transgression, résistance aux pouvoirs ?
- Quelles relations les figures de contrebandiers, de voyageurs, ou d’exilés entretiennent-elles avec la frontière et le pouvoir qu’elle représente ? De quels choix esthétiques le franchissement des frontières s’accompagne-t-il ?
- La transgression des frontières politiques va-t-elle de pair avec celle des frontières entre les styles ou les genres ?
Le colloque aura lieu les 13, 14 et 15 mai 2020 ; les propositions de communication sont à adresser à
Claudine Nédelec (clnedelec@yahoo.fr) et Marine Roussillon (marine.roussillon@wanadoo.fr)
au plus tard pour le 15 septembre 2019 ; les réponses seront transmises en janvier 2020.
Comité scientifique
Christian Biet (Université Paris-Nanterre), Benoît Bolduc (New York University), Marion Brétéché (Université d’Orléans), Markus Castor (Directeur de recherches, Centre allemand d’histoire de l’art), Delphine Denis (Université de Paris-Sorbonne), Nathalie Grande (Université de Nantes), Sophie Houdard (Paris III-Sorbonne nouvelle), Lise Michel (Université de Lausanne), Buford Norman (University of South Carolina), Guillaume Peureux (Université de Paris-Nanterre), Pierre Ronzeaud (Université d’Aix-en-Provence), Volker Schröder (Princeton University), Jean-Pierre Van Elslande (Université de Neuchâtel), Alain Viala (Oxford University).
Comité d’organisation
pour l’Université d’Artois, Claudine Nédelec et Marine Roussillon ; pour le CIR 17, Jean Leclerc (jlecler@uwo.ca) et Gilles Declercq (gilles.declercq@univ-paris3.fr).